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The Turn of the Screw Mise en scène Luc Bondy (1948-2015)

  • Writer: Gergana Todorova
    Gergana Todorova
  • Mar 31, 2016
  • 17 min read

Novembre dernier, un des plus grands metteurs en scène Luc Bondy a quitté ce monde. Or après tout l’héritage qu’il nous a laissé, il semble qu’il ne nous a jamais quitté et ne nous quittera jamais. Suite à l’hommage donné au Théâtre de l’Odéon la semaine dernière j’ai décidé de publier cette analyse d’un opéra montée en scène par Luc Bondy en 2001 que vous pourriez consulter sur mon blog. En tout cas, lire ou pas cet article, je vous recommande vivement de visionner cette magnifique mise en scène de « Le Tour d’écrou ».

The Turn of the Screw, (titre français Le Tour d’écrou) est un opéra composé par Benjamin Britten, écrite en anglais, est constituée d’un prologue et deux actes. Le livret de Myfanwy Piper est tiré de la nouvelle du titre éponyme d’Henry James.

La création mondiale a eu lieu en 1954 au Teatro La Fenice de Venise, dans le cadre de la Biennale de Venise. C’est en 2001 que le Festival d’Aix-en-Province produit cet opéra en confiant la mise en scène à Luc Bondy et la direction musicale à Daniel Harding, (Mahler Chamber Orchestra).

Luc Bondy et Benjamin Britten

Né à Zurich, Luc Bondy est un metteur en scène, librettiste, acteur et réalisateur suisse. Menant une carrière de succès à l’international et notamment en France, il est surtout connu pour ses mises en scènes de théâtre. L’année de la représentation de cet opéra il devient le directeur de Wiener Festwochen et depuis 2012 il était le directeur de l’Odéon-Théâtre de l’Europe et dirigeait le Festival de Vienne en Autriche.

Benjamin Britten est un des plus importants compositeurs anglais de XXe siècle en ouvrant à l’opéra la voie vers la modernité. Son écriture est particulièrement orientée vers la musique vocale et il s’inspire généralement de ses chanteurs pour écrire. Les sources d’inspirations de ce compositeur sont plusieurs, or la plus grand influence vient de Purcell, surtout connu pour ses opéras et musiques religieuses.

La musique

L’inspiration qu’on trouve particulièrement dans The Turn of the Screw est celle de Debussy. Le style musical de cet œuvre est le récitatif, forme longtemps disparue du paysage de l’opéra depuis ses origines et qui réparait de nouveau au XXe siècle avec Claude Debussy.

Le Tour d’écrou possède très peu d’arias qui d’ailleurs sont très courtes. Ce choix plus le style du récitatif donne beaucoup de dynamisme à l’œuvre.

L’opéra est créé pour un orchestre de chambre (14 instrumentalistes) et 6 chanteurs. La musique est au service du drame, elle est très mélodique et parfaitement tonale, ce qui est en opposition avec le contexte dans lequel l’opéra apparait. Il a été créé après la Deuxième Guerre Mondiale, une période où les compositeurs refusent de composer des opéras et utilisent un nouveau langage musical qui est celui de la musique atonale.

Le thème du prologue sur douze notes est repris dans les interludes (variations) entre les scènes. Chaque instrument incarne un des personnages en se doublant parfois (flûte et flûte alto, hautbois et cor anglais, clarinette et clarinette basse) pour enrichir l’ambiance musicale.

L’écriture de la musique pour jeunes musiciens est un défi qui a inspiré Britten de composer cet opéra et il est reconnu par certains comme l’inventeur du genre « opéra pour enfants ». C’est le premier opéra dont les personnages principaux sont des enfants. Durant leur chant l’orchestration est toujours légère, ainsi le traitement vocal est parfaitement adapté à leurs capacités techniques limitées. Depuis 1947 Britten a eu des musiciens et des techniciens avec qui il s’est habitué à travailler grâce à l’English Opera Group. Ainsi il a réussi à marquer l’histoire en composant cet opéra qu’en cinq mois.

Résumé

Le tuteur des orphelins Flora et Miles, refusant de s’engager avec ses neveux, engage une jeune gouvernante de les surveiller dans une maison isolée à la campagne. Or le lieu abrite en effet les fantômes des anciens serviteurs de la maison décédés récemment, qui commencent à exercer des pouvoirs maléfiques sur les enfants. Ainsi les deux fantômes viennent troubler les enfants en amenant la gouvernante et la femme de chambre jusqu’au paroxysme de la folie.

Interprétation de l’histoire

On pourrait croire que le sujet de cet œuvre est la perte de l’innocence enfantine à travers la sexualité qui se développe. Une autre thématique qui la rejoint est celle de la culpabilité provoquée auprès les enfants avec l’apparition des pensées obscènes. Flora et Miles répètent à maintes reprises qu’ils sont méchants (ex. dans acte I, scène 8 Miles dit qu’il est méchant, car il ne s’est pas couché). Le texte dans le thème musical de Miles repose sur la ressemblance des mots « Malo » et « Miles ». Pourtant que « Malo » est proche du mot français « mal » et l’opéra est écrit en anglais, ces lettres font référence à des racines communs à l’anglais et au français, qui expriment d’une certaine manière le mal, comme le mot « maladie » ou encore « maladjusted » qui se traduit en français comme « mal adapté ». Ce mal chez Miles, provient probablement des allusions à l’homosexualité naissante chez le garçon. La nouvelle est écrite dans l’époque victorienne où l’homosexualité a été fortement rejetée et méprisée. C’est lors de cette période que le mot vient d’être inventé et on estimait les gens homosexuels comme malades.

Le mal dans la nouvelle d’Henry James se projette sous la forme de fantasmes qui provoquent des hallucinations qui se confondent avec des vrais fantômes représentés par l’ancienne gouvernante de la maison et l’ancien valet. Myfanwy Piper porte son choix sur le deuxième sujet et fait apparaître les fantômes dans le livret. Pour cela ils sont même représentés seuls dans une des scènes, alors que dans la nouvelle cela n’existe pas, car il est plutôt supposé qu’ils soient des hallucinations (Acte II, scène 1). Dans la nouvelle les fantômes ne parlent pas, or dans l’opéra ils obtiennent des voix. Ils essayent de « séduire » les enfants ce qui littéralement veut dire « amener à soi », détourner et cette séduction est montrée avec des allusions sexuelles entre les anciens serveurs de la maison et les enfants.

Analyse du traitement des voix

L’ambiance dans cet opéra est très mystérieuse. On est averti par les tambours au tout début que quelque chose de mal va arriver, mais on n’a pas des indices sur sa nature. Ce moment coïncide d’ailleurs avec le discours du narrateur sur le futur (Olivier Dumait- ténor). Les nuances de l’hystérie sont omniprésentes tout au long de l’œuvre et progressivement s’augmentent pour atteindre le paroxysme. Cette nervosité s’exprime dans la ligne vocale des personnages qui souvent passe dans le parlando, dans des chuchotements et des cris.

Peter Quint (ancien valet- Marlin Miller) est un ténor et Miss Jessel (ancienne gouvernante-Marie Mclaughlin) est une mezzo-soprano. Le mélisme va caractériser le chant des fantômes, qui est un style très utilisé dans les chants religieux et dans la culture occidentale. Il est surtout associé au chant grégorien qui symbolise la jubilation divine. C’est un mode d’ornementation extrême opposé au chant syllabique. Dans les cultures anciennes, ce style était un mode d’accéder à une transe. Dans l’opéra cela va être plutôt ce trance qui va ensorceler les enfants. Ainsi les mélismes baroques de Quint tentent de séduire Miles.

La ligne vocale des enfants va aussi utiliser un chant sacré-le plain-chant qui puise ses inspirations du chant grégorien. Miles est un soprano treble (Gregory Monk), Flora est une soprano (Nazan Fikre). Leur chant n’est pas complexe ce sont des mélodies sans culminations.

Tous les personnages féminins sauf Miss Jessel (ancienne gouvernante) sont soprano. Elle a une voix de mezzo-soprano qui d’habitude caractérise la figure maternelle. Le directeur musical David Harding a introduit cette différence par rapport à la volonté de Britten qui a attribué une voix de soprano à l’ancienne gouvernante. Dans la mise en scène on peut trouver un lien avec Flora : lorsqu’elle jeu la mère avec sa poupée il y a l’apparition de Miss Jessel, ce qui peut symboliser que leur rapport était proche de celui de mère-fille.

La ligne vocale de Miss Grose (femme de chambre-Hanna Schaer) est dans le registre extrême pour montrer le trouble de son état psychique qui parfois ne peut pas supporter la pression de la peur. Le traitement vocal de la femme de chambre souligne son épuisement à travers une voix faible. Or dans les moments où l’hystérie prend le dessus, ses phrases seront brusques dans un registre vocal aigu. Elle est comme un double de la gouvernante qui représente son future, la personne troublée et épuisée dans laquelle elle va se transformer. Probablement pour cela toutes les deux ont une voix de soprano. La gouvernante (jouée par Mireille Delunsch) utilise un lyrisme plus dur. Elle est l’héroïne principale et l’opéra va tourner autour de sa destruction progressive jusqu’à la folie totale.

La mise en scène de Luc Bondy

Concernant la mise en scène il y a un énorme travail sur la lumière. Elle crée en permanence des ombres derrière les personnages pour suggérer la présence fantomatique à la maison. Or cela peut être aussi l’ombre de la psyché (Carl Gustav Jung), notre double intérieur dont on ignore l’existence. Donc ce ne sont pas des simples fantômes, ils incarnent aussi les peurs des personnages et sont leurs doubles.

Le changement des décors se fait à vue pendant les interludes. La personnalité des personnages est présentée par leurs vêtements. Les enfants sont vêtus en blanc (l’enfance) comme des anges et les fantômes sont vêtus en gris ce qui démontre leur position ambigüe entre deux mondes, celui de la mort et celui de la vie, le bien et le mal (le noir et le blanc). La gouvernante et madame Grose sont habillées en noir (l’âge mûr), comme si elles sont présentes à un funéraille éternelle de Miss Jessel, Monsieur Quint et les parents des enfants. Cette morte qui « ne finira jamais » comme le souligne madame Grose. C’est la mort qui provoque l’angoisse et la nervosité. Ainsi lorsque la gouvernante et la femme de chambre l’évoquent, elles vont utiliser le parlando en pianissimo qui illustre cette peur. De l’autre côté les enfants ne craignent pas autant les fantômes puisqu’ils rappellent leurs parents décédés.

Or la question qui tourment les deux femmes n’est pas tellement l’invasion des fantômes, mais l’impuissance de contacter le tuteur des enfants. Le tuteur qui est l’oncle de Flora et Miles est présent qu’à travers la parole, de même qu’un spectre dont elles craignent la colère en cas de besoin de celui-ci. Or si elles ne l’avertissent pas de la situation dans la maison, c’est elles qui subiront la responsabilité des évènements. Donc ce dilemme va amener ces deux femmes à perdre la raison.

C’est un univers où l’absence masculine renforce le sentiment d’insécurité. Le tuteur n’est jamais présenté sur scène il reste une figure inaccessible et abstraite, dont les deux femmes ont besoin.

Le seul endroit qui implique une sorte de sécurité est la maison. La menace des spectres vient de l’extérieur. Ainsi à chaque fois qu’ils manifestent leur présence, la mise en scène va se focaliser sur la fenêtre et les rideaux qui bougent, sans les faire rentrer.

Cependant plus tard leur présence va envahir l’intérieur de la maison ce qui déclenche complétement la folie des deux femmes vivantes. Ainsi l’apparition du cheval à bascule sur scène va symboliser la pièce d’enfants, mais il va aussi désigner le mal qui s’installe à l’intérieur de la maison comme un cheval de Troie.

Le son de la marche du cheval s’entend lors de la première rencontre entre Miles et Peter Quint (Acte I, scène8). Là Miles monte sur le cheval et le fantôme se positionne derrière lui en faisant des mouvements qui font allusion à un acte sexuel.

Peter Quint (interprété par Marlin Miller) peut être considéré comme le personnage principal. Malgré le peu de temps qu’il apparaît, c’est lui qui provoque le drame et sa présence métaphysique sur la scène est permanente. Pourtant il semble que Miles est le personnage central mais Quint est en fait l’ombre de Miles qui représente le trouble des pensées malsaines qui émergent et surtout ceux concernant l’homosexualité à cause de laquelle il sera condamné.

Les rapports entre les fantômes et les enfants sont très ambiguës, on se demande s’il y a eu des rapports malsains entre eux. De même la mort de Miss Jessel et celle des parents est inconnu, la figure de l’oncle complétement abstraite, on ignore aussi les raisons pour lesquelles Miles s’est fait renvoyé de son pensionnat.

Malgré les allusions homosexuelles, la mise en scène reste très suggestive pour laisser place au mystère qui se trouve initialement dans l’œuvre littéraire. Mais un thème va retracer toute la mise en scène pour laisser des clés et c’est celle du double et les frontières entre la vie et la mort. Pour s’interroger plus profondément sur ce sujet, je propose d’analyser d’abord scène 7 d’acte I, et ensuite les scènes 3 et 8 d’acte II.

Acte I, scène 7

Les instruments se doublent car les personnages sont dédoublés aussi. La scène s’ouvre auprès d’un lac avec un arc qui ressemble à une fenêtre. Cette « fenêtre » comme dans les scènes précédentes va servir aux fantômes de rentrer dans le monde des vivants. Le lac est absolument paisible et pas par hasard il sera nommé par Flora la Mer morte. Lorsque la gouvernante l’interroge sur les différents mers qu’elles connaissent la fille chante en rectotono, de même que les réponses positives de la femme, or la mélodie va changer sur les mots « La Mer morte » (« It’s the Dead sea »). L’effectif musical va appuyer aussi sur cette phrase avec des tambours qui donnent une dimension tragique. C’est en contraste avec la mélodie vivace et le ton joyeux dans le chant des deux personnages. En français cela pourrait être un homonyme du mot « mère » qui désigne la mère morte de Flora. L’opéra est en anglais or il y a d’autres éléments qui nous font penser à la mort maternelle. Le rapport de Flora envers sa poupée est comme celui d’une mère et de sa fille. Pourtant on voit qu’il y a une certaine violence, puisque la fille ordonne à sa poupée de dormir.

Cela marque les conséquences de l’absence de la figure maternelle qui en générale fournit aux enfants la douceur.

De ce lac mort va surgir le personnage de Mademoiselle Jessel qui ressemble aussi à une poupée avec ces gestes mécaniques et son visage figé. De plus elle, de même que la poupée, possède des cheveux blonds. Or la gouvernante a aussi des cheveux blonds et lorsque la fille essaye d’endormir la poupée avec sa chanson, c’est la gouvernante qui s’endort. Quand Flora chante, la musique est douce, en pianissimo et il y des flûtes. Le texte de sa chanson dit “Que tu es sage” (« How good you are ») avec un accent sur le mot “good”. Les enfants estiment qu’ils soient méchants, mais c’est aussi dû au fait que les parents sont absents pour leur dire le contraire. Cette œuvre montre en filigrane les enfants constamment confrontés à la mort et surtout celle de leurs parents. Flora ne comprend pas pourquoi quelqu’un voudras aller à la Mer morte comme il n’y a rien, alors que tout le monde autour d’elle meurt.

L’idée du double apparait de nouveau avec le reflet de Miss Jessel dans l’eau. La fantôme est en quelque sort le double de la gouvernante et on verra plus loin comment cette dernière en perdant la raison va adopter le même comportement séducteur et pervers avec Miles que les anciens serviteurs (Acte II, Scène 8). De plus ces cheveux seront rattachés de même que ceux de la « poupée animée ».

On remarque aussi que tous les personnages ont des noms à part la gouvernante et l’oncle des enfants. Alors cette identité effacée permet la superposition de plusieurs personnages. Ainsi le tuteur peut être associé à Quint. La gouvernante ne connait pas l’oncle mais elle est amoureuse de lui et en même temps il représente ses peurs envers la responsabilité qu’elle porte pour les enfants, peur qui l’empêche de chercher son aide. De même Miss Jessel a été amoureuse de Quint, mais il l’ignorait.

Lors de l’apparition de Miss Jessel il y a une horizontalité frappante-tous les personnages sont allongés par Terre et cela fait allusion à la mort. Tout de même cette horizontalité a trois niveaux : la vie qui existe encore mais qui émerge à peine (la gouvernante qui est assise) ; le mi-chemin entre la vie et la mort (Flora qui est complétement allongée) ; la mort (Miss Jessel dont presque tout le corps est plongé dans le lac). Flora est entre le royaume terrestre et le monde souterrain, elle hésite entre les deux mondes, puisque presque tous les êtres qu’elle aime sont morts. Ainsi elle tend la main vers les abymes de la Terre. Or elle sait que dans la « Mer morte » il n’y a rien, au moins pas ses parents, car ils n’y apparaissent pas.

La musique s’arrête progressivement avec l’apparition de la femme morte. Ensuite la mélodie en crescendo acquiert un ton différent mélangeant la peur et la menace qui surgit lorsque le fantôme est aperçu par la gouvernante. Des tambours violement marquent ses inquiétudes. Sa voix est en fortissimo et le mot « Miles » est chanté le plus longtemps, avec un vibrato, ce qui montre que ses angoisses sont surtout liées au garçon. De plus on entend sa voix qui crie comme un appel de secours hors scène, accompagné d’une crainte croissante à cause de la silhouette noire de Miss Jessel.

La gouvernante voit que Flora prétend ne pas avoir vu le fantôme, or il y a une autre émotion qui transparait derrière. C’est la méfiance de la fille envers la gouvernante. Flora se retourne et serre avec force sa poupée, comme si la gouvernante représente la menace qui la ferait perdre sa poupée. Poupée dont le double Miss Jessel disparaît à la vue de la jeune femme.

La gouvernante réalise que les spectres ont déjà envahi tout l’espace. Les enfants sont apprivoisés par les morts et elle a perdu le contrôle sur Miles et Flora. La musique est dynamique et exprime la peur et le désespoir. Les enfants sont « perdus », ce mot se fait écho plusieurs fois, lorsque la voix de la femme se perd aussi. Cette coïncidence vise à montrer que la force de sa voix est perdue, sa parole n’a plus d’impact sur les enfants. Alors ses gestes deviennent lentes et la musique baisse. Elle s’en va désespérée avec la tête baissée, de nouveau des éléments qui tendent vers l’horizontalité. A partir de ce moment, la musique dans les interludes devient de plus en plus inquiétante pour symboliser le tour de l’écrou qui serre l’âme dans le trouble.

Acte II, scène 3

Dans cette scène on va s’intéresser surtout à la ressemblance entre les deux gouvernantes. Ici apparaît la volonté de Henry James, l’auteur de la nouvelle, que les deux femmes soient des institutrices, puisqu’on se trouve dans une salle de classe. Le monde des vivants et des morts se mélange de plus en plus. Au début de cette scène les enfants sont présents, or ils restent ignorés par les deux femmes. Ainsi leur rôle est presque fantomatique dans cette situation. Les fantômes ont essayé d’attirer Flora et Miles dans le royaume des morts et il semble que leur tentative a eu du succès ou bien qu’ils sont coincés entre les deux mondes, car les deux femmes ne les aperçoivent pas. En outre dans le livret c’est une scène à laquelle assistent que les deux gouvernantes. Lorsque les deux femmes se situent aux deux côtés de la porte on voit cette séparation très subtile qu’on peut comparer à la frontière entre la vie et la mort.

On a vu que dans les scènes précédentes la fenêtre et l’arc du lac présentaient le portail d’entrée pour les fantômes. L’ouverture sur le mur frontale ici donc peut signifier le seuil de la mort. De plus dans acte I, scène 6, Monsieur Quint tend sa main d’une porte qui se situe au mur frontal. Mais cette fois-ci c’est la gouvernante qui rentre à travers la béance. En ajoutant l’épuisement que son personnage manifeste, il semble qu’elle fait partie aussi des morts. Plus tard dans la scène les deux femmes se poussent, collées l’une contre l’autre en effaçant la frontière de la porte. Si les femmes se touchent soit le fantôme a pris chair, soit la gouvernante a rejoint le royaume des morts.

Toute de même il existe une séparation entre les deux personnages qui se trouve dans la musique. Deux thèmes musicaux différents vont accompagner les deux personnages. Le premier, celui de Miss Jessel, est un motif répétitif construit sur trois notes (fa, sol#, do). Les instruments qu’on entend le plus sont des cuivres et des tambours.

L’effectif musical est dominé par la voix de la chanteuse et son timbre est plus épais que celui de la gouvernante vivante. Il y a aussi des moments marqués qui signalent le passage vers le thème de cette dernière (Mireille Delunsch). Sa voix est dans les aigus mais la ligne vocale est très délicate, il n’y a pas de puissance. Sa voix flotte dans l’espace, on revient sur l’idée que la femme a commencé à perdre la puissance de la parole. La musique qui accompagne sa voix est en pianississimo, c’est une seule note en continuum qui ressemble au son des appareils mesurant le rythme cardiaque qui signale la mort.

Ces deux thèmes s’alternent durant toute la scène. Celle de Miss Jessel progressivement passe en fortissimo, la voix et l’effectif instrumental également et la gouvernante de l’autre côté essaie aussi au fur et à mesure d’augmenter la force de sa voix. Les deux femmes terminent toutes leurs phrases de la même manière-Miss Jessel en piano, dans le style récitatif et la gouvernante en parlando monotone.

Or anticipé par la musique, un changement survient brusquement. Dans la transition vers le motif de la gouvernante, plusieurs instruments interviennent pour exprimer une violence. Les deux femmes commencent à se pousser et leurs voix se superposent, mais en dissonance. La voix de la gouvernante est en fortissimo, elle va essayer de se défendre du spectre, or ses gestes montrent que la peur persiste encore.

Tout de même la vie triomphe, la femme vivante avec une voix puissante, fait Miss Jessel tomber et la banni dans le monde des morts.

Cependant la scène se termine sur des tambours et une mélodie inquiétante qui annoncent la tragédie avenir. La femme trouve de la force pour combattre le mal en écrivant une lettre au tuteur, une musique symbolise un petit espoir, or le destin terrible de Miles est déjà annoncée.

Acte II, scène 8

Dans la dernière partie de l’opéra la certains des interludes seront supprimés pour accélérer le tour d’écrou. Pendant ces moments il n’y a pas d’action sur scène. Or dans la variation qui précède la scène, on voit la gouvernante sur le plateau balançant le cheval avec violence, signe que la tragédie va commencer. Flora est absolument envoûtée, elle se comporte comme une bête sauvage avec un regard lascif. Elle ne fait plus confiance à la gouvernante et la femme de chambre qui parlent de la fille comme si elle n’est pas dans la pièce, ce qui renforce l’image spectrale de Flora et son enchantement.

Dans la scène précédente les gestes de la gouvernante et ceux de Miss Jessel étaient parallèles. La femme morte n’avait plus de voix, or il semble que dorénavant elle en trouve un à travers le corps de la gouvernante. Dans cette scène, lorsque la gouvernante se met à chanter de Miles elle détache ses cheveux. On peut interpréter cela comme symbole de sa transformation totale, puisque la femme porte ici un regard vulgaire et provocant propre à Miss Jessel. Elle s’allonge sur la scène en face de Miles, dont l’apparition est marquée par une musique douce et joyeuse avec des instruments à cordes. La femme attire le garçon vers elle et cette fois-ci il ne s’éloigne et ne craint pas sa touche.

La présence de Quint ne gêne plus la gouvernante et il semble qu’elle essaye de séduire Miles. Les phrases de Miles sont très brèves pour exprimer sa peur envers Quint. Sa voix passe même en parlando à cause de la nervosité qui augmente avec les conseils de l’ancien valet qui lui font peur. La voix du fantôme est hors champ et ainsi il semble que ses conseils sont en fait les pensées de Miles. Or la voix de Quint augmente et la gouvernante devient menaçante. Elle adopte la même violence et perversité que les fantômes pour accéder à Miles.

Pourtant ensuite elle exprime une grande tristesse envers Miles. Il a volé sa lettre adressé au tuteur et on peut supposer que son comportement a été une stratégie pour pouvoir communiquer avec Miles. L’apparition de Quint sur scène perturbe absolument le garçon et il se met à crier. La musique illustre l’énorme tension que Miles éprouve, les deux adultes tournent autour de lui comme un écrou qui l’étouffe. La phrase anglaise « To turn the screw » en fait signifie d’exercer une pression morale. Son problème est qu’il ne peut pas différencier le bien du mal et finalement il s’écroule sous la pression. En criant les mots « Peter Quint vous êtes le diable » accompagnés des tambours qui anticipent l’action. A partir de là Quint et la gouvernante se mettent à chanter en unisson, preuve de la transformation de la femme qui devient aussi un fantôme. « Ensemble nous l’avons détruit »-il n’y a aucun pathos, le mot « destroy » (détruit) est accentué dans un registre qui manifeste un but maléfique, accompli.

Finalement avec le départ de Quint qui semble combattu aussi l’hypothèse qu’il est le double de Miles se renforce. Quant à la gouvernante il semble qu’elle s’est transformée complétement en son double Miss Jessel, tout en laissant des doutes sur ce fait. On ne sait pas si son comportement pervers était une transe ou une stratégie d’approcher les enfants. Un bref moment où la femme chante le thème de Miles « Malo », la mélodie qu’il a lui-même inventée renforce ces doutes. Est-ce qu’elle chante cette mélodie par le simple chagrin pour le garçon, ou elle est complétement envoutée de même que Miles l’en était. Ou peut-être elle de même que Miles est morte, mais reste coincée dans le monde des fantômes en contaminant les vivants avec la mort, comme Miss Jessel. A la fin la gouvernante couvre avec son corps, comme un drap noir le corps du garçon, comme si elle-même incarnait la mort. On ne voit plus leurs visages, mais que leurs reflets sur le sol, leurs effigies spectrales.

Sources

http://www.lamediatheque.be/travers_sons/op_bri01.htm

Dom Robert Le Gall, Dictionnaire de liturgie, 3e édition, p. 199 « Ce mot n'est pas tout-à-fait synonome de Chant grégorien. », C.L.D., Chambray 1997 http://www.liturgiecatholique.fr/Plain-chant

http://www.francemusique.fr/personne/benjamin-britten-lowestoft-1913-aldeburg-1976

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